Depuis quelques mois ça n’arrête pas de dealer dans les rues de Lyon, la capitale de la gastronomie qui a vu commencer Jean-Victor et Rémi. Il faut dire qu’à force d’entendre parler de « cuisine de l’entrepreneuriat », l’équipe Trafalgar a voulu vous tirer dans la planque de deux Audacieux capables d’assumer, frontalement, ces deux métiers. Pour être un Dealer de Cook, la recette n’est pas si simple. Déjà, elle demande d’avoir du nez, une volonté certaine à croire en la poudre magique et à ressentir – sniffer – ses rêves sans se soucier de l’overdose. Une ligne, un trait, un rail à prendre ou à traverser ; à force de se défoncer, les deux Dealers ont développé cette capacité, dans chaque lieu où ils sont conviés, à laisser une trace de leur activité. Incontrôlables et hyper actifs, ils sont sous rap, sous jazz, sous soul et parfois branchés à l’électro. Il faut l’avouer, la drogue les a bien changé car depuis, ils saupoudrent chaque plat de leurs petites herbes et n’ont pu s’empêcher de développer le toc du couteau hyper aiguisé. Alors qu’en réalité, on ignore toujours à quoi Rémi et Jean-Victor sont coupés…
Posant fièrement aux côtés de « Monsieur Paul », l’homme qui a permis à nombre de passionnés du métier d’avoir une crédibilité mondiale et d’ouvrir les portes aux nouvelles générations, les deux Audacieux ne tardent pas à le présenter comme la référence : « le Proust de la cuisine ». Et pourtant, rêvant d’une carrière goûtue, les Dealers ne sont pas franchement fanas des petites madeleines. Pour preuve, alors qu’ils partageaient déjà le même menu en première année de BEP à l’école hôtelière Jeanne de France, les deux amis d’enfance se sont suivi jusque derrière les fourneaux de leur Bac Pro restauration. Assis à la même table et logés à la même enseigne, ils sont formés aux côtés des Meilleurs Ouvriers de France et des toques blanches lyonnaises.

Acceptant les gentils coups de fouets d’un milieu plus qu’exigeant, ils réciteront par coeur les mêmes poésies –  » dans quoi je cuis, dans quoi je refroidis, dans quoi je débarrasse «  – réalisant très vite que dans ce métier, personne n’y va avec le dos de la cuillère : « on a vraiment pris cher, mais ça nous a appris à être rigoureux. On se souviendra toute notre vie du jour où on a fait de la pâte feuilletée et du coup de rouleau du chef sur la table ». La formation passée, ils réfléchiront chacun de leur côté à la meilleure façon d’assaisonner leur tranche de vie. Suite à un gros ras le bol des restaurants dans lesquels il n’a jamais été autorisé à créer ses propre recettes, Rémi s’envole pour Toronto avant d’entamer une licence en entrepreneuriat à Lyon : « je n’avais pas un profil de cuisinier technique. J’en avais marre de faire de la cuisine en restant en cuisine car je ne jurais que par la créativité. J’avais envie de voir ce qu’il y avait autour du métier et me former au marketing, au management, à la communication. À la base, j’avais postulé en Marketing digital mais le jour de l’oral, on m’a dit que j’avais profil entrepreneur à 300 pour 100. » Mais Rémi le sait, sans technique, pas de créativité. Retombé dans sa marmite en donnant des cours à L’Atelier des Chefs en parallèle de ses études, Rémi n’a jamais perdu de vue son acolyte J.V., alors cuisinier dans divers restaurants étoilés. Restés tous deux du côté de la cuisine traditionnelle, ils réalisent autour d’une bière, un soir d’août 2014, combien la cuisine urbaine manque de visibilité : « on voulait faire un livre qui présente ces deux cuisines. On écrivait des recettes très gastronomiques en réfléchissant à des photos de rues bien éloignées des photos-assiettes-blanches déjà vues. Mais il n’était pas du tout question de monter une entreprise » ! Réalisant que les grands plats qu’ils se plaisent à cuisiner – boeuf bourguignon, quenelle – ne sont pas faits pour être individualisés et encore moins pour être mangés à la main, ils font immédiatement le pari de mixer – en vrai – les codes de la cuisine urbaine et le savoir-faire français : « On s’est dit qu’on avait rien à perdre et on a foncé dans un concept où il était pas nécessaire d’investir beaucoup financièrement, le deal était surtout de s’investir physiquement. Et puis, y’a bien des street foods qui sont entrés chez Michelin ! ». L’entreprise d’animation culinaire innovante Dealer de Cook intègre en un tour de main l’incubateur Jean-Moulin.

Parce que leurs deux esprits ont été mélangés dans le même saladier, Jean-Victor et Rémi ont développé des automatismes et une complicité que nombreux entrepreneurs pourraient leur envier : « on a reçu les mêmes références et les mêmes conseils : si tu as des bons produits et que tu les travaille bien, tu auras une bonne recette. Quand je pense à un club sandwich et que je commence à l’imaginer au magret de canard, J.V. me sort le magret de canard au même moment ». Ainsi, derrière le fun et l’amitié, c’est parce que rien est laissé au hasard que les Dealers de Cook se font encore suivre aujourd’hui par les grands qui les ont formés : « quand on fait un événement au Sucre, on réussit à déplacer deux toques lyonnaises. C’est assez rare ! Si on peut se permettre d’avoir une image culottée, c’est parce que derrière, c’est notre métier. »

Recettes sur-mesures élaborées selon l’image du client – bûche farcie à la crème vanille pour Le Tuba, capuccino de petit marron pour Le Puzzle Café – les Audacieux se sont même prêté au jeu d’imaginer une blanquette de veau en raviolis à l’image de Trafalgar : « c’est ça l’Audace ! Une recette mythique, avec un côté asiatique. On voit des raviolis mais on mange une blanquette. Ça, ça fait vraiment partie de notre délire. Puis ça nous fait toujours rire quand les gens mangent nos hot dogs à la quenelle de brochet ou encore nos samosas au boeuf bourguignon et qu’ils nous disent : c’est fou, ça a vraiment le goût du boeuf bourguignon ! Bin normal, ça en est » ! Loin de cacher leur avis  sur la sacralisation ridicule à la télévision du métier de cuisiner – «  ils balancent quand même la musique de Game of Thrones quand arrive une entrée «   – Jean-Victor et Rémi sont aussi devenus des Dealers de Cook pour se surprendre eux même et s’amuser.

Si l’on s’en tient à la saveur de leur fin d’année, comme à la difficulté de porter le triptyque chronophage et imprévisible cuisine-évènementiel-entrepreneuriat, difficile d’imaginer que le duo parvienne à s’amuser derrière ces petits yeux plissés : « quand tu es en cuisine, tout ce qu’il se trouve autour est super dur à gérer. Tu as la main dans le saumon et on t’appelle pour un évènement, tu te mets en haut-parleur avec ton nez et tu gères. Mais on a été formés comme ça, pour tenir 17 h en cuisine sans fatiguer et résister aux couilles. » Heureusement, l’un est d’un calme olympique quand l’autre rend chaque moment de stress encore plus stimulant. L’un organise, l’autre anticipe, de quoi permettre à leur vision d’entreprise d’avoir toujours un temps d’avance sur leur cuisson : « quand j’ai relu le business plan de Dealer de Cook, ça m’a fait rire de lire nos phrases – « on voudrait », « on imagine que », « on aimerait » – et de réaliser qu’on avait réussi à faire tout ce qu’on voulait. On est encore une start-up mais sur un évènement, un mec nous a quand même demandé si on était une multi-nationale ! De toutes façons on a 24 ans, c’est maintenant qu’il faut taper dedans ! » ajoute Rémi. Taper dans la Cook, quelque soit les sacrifices que cela impose, serrer les dents face à chaque plan sortie du samedi, les montrer à tous ceux qui osaient douter de leurs capacités à devenir cuisinier et écouter Diziz la Peste chanter « Dans tes rêves », en guise de revanche personnelle. C’est comme ça, l’Audace, ils l’ont avalée toute crue, se répétant qu’il est inutile de partir à point, comme d’attendre d’être assez cuit ou suffisamment préparé pour ce métier. Pour eux deux il a suffit de maîtriser son expertise, pour que la création d’entreprise puisse, dans un second temps, se déguster comme un plat préféré : « aujourd’hui, on ne voit plus du tout cuisinier dans un restaurant ! Dans le monde de la restauration, monter sa boîte, c’est vraiment une plus-value exceptionnelle ! »

Si on leur avait dit, il y a dix ans, qu’ils allaient s’associer, les deux amis en auraient plus que douté : « à l’époque, on était deux gros branleurs et on ne se supportait pas ! À l’école, on nous appelait Heckle et Jeckle, les deux corbeaux toujours perchés sur un arbre. Par contre en cuisine, on s’est toujours vus bosser comme des salauds ! » Aujourd’hui, c’est donc sans regret qu’ils voient les soirées Fifa diminuer et les nombres de contrats signés augmenter car les bons souvenirs d’adolescents ont fait place au privilège qu’on ces deux jeunes adultes de 24 ans, de se voir grandir et évoluer : « disons qu’on est mariés et que c’est compliqué ». Les collaborations avec les artistes sont sur le point de s’enchaîner tandis que les entreprises continuent de s’arracher ce duo décalé à la personnalité affirmée : « même dans les grands évènements on reste nous ! Quand on a fait une animation avec de l’huile de truffe blanche on était là pour cuisiner en live devant les invités, mais aussi pour les décomplexer ! » C’est ainsi que les deux Dealers nous ont ensuite salué, avec leur large sourire et cet humour qu’ils n’ont pas, une seule seconde, laissé reposer.

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